Safran : l’or rouge de la pointe bretonne
Alors que la France fut un pays incontournable de la production de safran entre le XVème et le XIVème siècle, elle est de nos jours reléguée très loin derrière l'Iran, l'Espagne et l'Afghanistan. Pourtant, quelques irréductibles gaulois perpétuent en Bretagne cet héritage. Anne et Sébastien sont aujourd'hui parmi les rares agriculteurs à mettre encore en œuvre ce savoir-faire sur notre territoire. Dans le Finistère, ils continuent ce métier agricole souvent méconnu, parfois fantasmé. En effet, « l'or rouge » peut atteindre à la vente les 35 000 € le kg ... mais aussi donner du fil à retordre les mauvaises années !
« L'idée de safranière mûrissait dans nos esprits. Nous étions attirés par son originalité et par le rythme de travail qui en découle, avec une seule récolte par an (mais du travail toute l'année!). La densité de plantation était aussi adaptée à nos projets d'installation. Par ailleurs, nous avions entendu parler de cultures implantées assez nord, jusqu'en Écosse. Quand une opportunité d’exploitation s’est présentée dans le Finistère, Nous avons donc sauté dessus !”, s’enthousiasment-ils .
Pari lancé, avec une première plantation de 15 000 bulbes en 2008. Après plusieurs années d'essais et de succès, le projet devient réalité. La petite fleur violette occupe désormais 3000m² de leur exploitation et la majeure partie de leur temps, avec maintenant près de 250 000 bulbes à gérer. Exigeants, les Crocus sativus nécessitent une faible humidité lors de leur dormance de décembre à août, mais ont aussi besoin de belles pluies pour leur réveil à l'automne. « Nous avons décidé de travailler en buttes surélevées pour ne pas risquer qu'ils soient noyés lors des mauvaises saisons. En tout cas, ce n'est pas la sécheresse de cet été qui nous a inquiétés », explique Anne.
Mille sept cent grammes de safran sec, ce fut la récolte record sur leur terre argilo-calcaire de Pouldreuzic, « la meilleur du coin, d'après les anciens ! », confie t-elle avec joie. Cela peut paraître peu, mais c'est en réalité un très beau score : un vingtième de la production française actuelle. Surtout lorsque l'on sait que le safran est constitué du pistil des fleurs, qu'il faut ramasser puis émonder une à une, à la main. Un travail de patience, minutieux et encore très artisanal, pour lequel ils sont aidés de woofers (bénévoles agricoles).
D'autres années, en fonction de la météo et des ravageurs tels que certains rongeurs, la récolte est bien plus maigre. Comme en 2021 où seulement 400g ont été ramassés. Mais à chaque fois, une partie des planches de cultures sont remaniées. Les plants les plus anciens et les plus mal en point sont retirés, tandis que les bulbes nouvellement divisés sont replantés. Une sélection qui permet aussi au fil des ans une meilleure acclimatation de la plante aux conditions locales.
C'est enfin le séchage, étape décisive et délicate, qui va fixer l'odeur, la couleur et la saveur si recherchée de l'épice. Les pétales aussi sont conservées, et trouvent leur utilité dans l'industrie cosmétique. En plus de la vente sur place de produits 'maison' – tel que le sirop de safran fabriqué en arrière cuisine -, le condiment rouge de la pointe bretonne est utilisée in fine par différents clients dans le domaine culinaire. Avec une implantation à quelques encablures de la côte, il se chuchote même lors des dégustations, que le safran d'Anne et Sébastien aurait un petit goût iodé très recherché !
Texte et photos : Oscar Chuberre