L'agonie du Lac Powell

Cela fait vingt ans que les états de l’ouest des Etats-Unis subissent la pire sécheresse depuis 1200 ans. Les glaciers des montagnes Rocheuses ne suffisent plus à alimenter les lacs artificiels construits sur le Colorado et leur niveau ne cesse de baisser dangereusement.

C’est le cas du Lac Powell à cheval entre l’Utah et l’Arizona, second plus grand réservoir d’eau potable du pays. Il alimente en eau et en électricité les sept états voisins. Avec cette sécheresse, la capacité du lac atteint le niveau critique de 25%.

Si la baisse continue, le fonctionnement du barrage hydroélectrique est menacé et les eaux risquent de ne plus se déverser en aval. Pendant ce temps, les villes autour du barrage connaissent la croissance démographique la plus forte du pays. Un immense projet de pipeline d’eau devait desservir le comté de Washington (Utah) depuis le lac Powell.

Ce projet a été reporté sans donner de date. Le gouvernement fédéral commence à prendre des mesures de restriction d’eau pour sauver l’activité économique et la biodiversité du bassin du Colorado.

On estime qu’entre 800 millions et 3 milliards de personnes dans le monde pourraient souffrir de pénuries d’eau chroniques en raison des sécheresses dans le cas d’un réchauffement à +2°C, selon le rapport du GIEC sorti en février 2022.

Texte et photos : Arnaud Vilette

lake powell - glen canyon dam - arnaud cesar vilette

Le Lac Powell a été créé en 1963 par la construction du barrage de Glen Canyon qui génère une puissance de 1320 MW. Il a permis l’installation de 5 millions de foyers, fermes et industries dans les 7 états du bassin du Colorado (Arizona, Utah, Colorado, Nouveau Mexique, Nevada, Wyoming et Californie).

Page

La ville de Page en Arizona est l’une des plus récente des États Unis. Elle a été construite en 1957 pour les ouvriers qui construisaient le barrage hydroélectrique de Glen Canyon. Perdue au milieu du désert, cette ville de 7500 habitants ne doit sa survie que grâce à l’eau du lac Powell et à l’air conditionné gourmand en électricité.

Les habitants de Page peuvent arroser leur pelouse personnelle sans contrainte. « Je fais attention à ma consommation d’eau mais la mairie ne nous impose rien à ce sujet », m’avoue Anna qui habite ici.

Un parcours de golf a été construit au coeur de ce paysage désertique dans les années 90. Pour entretenir les greens, on y utilise les eaux grises de la ville, c’est à dire les eaux usées faiblement polluées. « Je suis venu du Canada pour jouer ici, au milieu des canyons. Ce paysage, c’est vraiment unique. » m’annonce fièrement John en train de finir ses 18 trous.

lake powell - glen canyon dam - arnaud cesar vilette

« Je suis venu du Canada pour jouer ici, au milieu des canyons. Ce paysage, c’est vraiment unique. » m’annonce fièrement John en train de finir ses 18 trous au volant de son caddie de golf.

Le comté de Washington dans l’Utah a la plus forte croissance démographique des Etats Unis depuis 5 ans. La maire, Michele Randall, en vante la qualité de vie avec ses 300 jours de soleil par an, ses 12 parcours de golf et ses paysages de roches ocre exceptionnels. Cela en fait une destination prisée des retraités mormons de l’état. Partout ou l’on regarde, des lotissements se construisent et s’arrachent comme des petits pains.

Avec cette croissance, la demande en eau explose. Si bien qu’un projet de pipeline a vu le jour pour fournir 100 millions de mètres cubes d’eau par an depuis le lac Powell au comté de Washington. D’une longueur de 225km à travers le désert, le budget du projet est estimé à 2 milliars de dollar. Malheureusement pour ce projet, le bas niveau du lac Powell le rend impopulaire et la construction du pipeline a été reportée sans donner de date précise.

Lors qu’il est plein, le Lac Powell fait plus de 300km de long et retient plus de 33 millions de mètres cube d’eau. Depuis 20 ans, son niveau ne cesse de baisser. La baisse du niveau du lac est visible par le calcaire blanc déposé sur les parois du canyon lorsqu’il était plein. Le lac est 50 mètres sous son niveau maximal. S’il descend encore de 10 mètres, le barrage hydroélectrique ne pourra plus fonctionner normalement. Plus de 40 millions d’américains risquent de subir des coupures de courant.

lake powell - glen canyon dam - arnaud cesar vilette

L’activité fluviale touristique se retrouve chamboulée par cette baisse de niveau d’eau. La Wahweap Marina, autrefois en pleine eau se retrouve aujourd’hui perdue au milieu des rochers.

Page

Les quelques traces visibles sur les rives actuelles montrent que le lac recouvrait bien plus de surface.

L’assèchement laisse parfois des surprises.En mai 2022, la baisse du niveau du Lac Mead, près de Las Vegas, à 400km en aval du lac Powell, a mis au jour un corpsdans un tonneau. Il s’agirait d’un assassinat datant des années 70-80.

lake powell - glen canyon dam - arnaud cesar vilette

Les rampes d’accès pour les bateaux de plaisance deviennent trop courtes. Il n’était pas prévu que la rive s’éloigne autant. Certaines zones de rafting sont fermées faute de courant suffisant. Des canyons secondaires très prisés des touristes ne sont plus accessibles par bateau.

lake powell - glen canyon dam - arnaud cesar vilette

De nouveaux pontons et rampes d’accès ont du être construites rapidement. Sans ces infrastructures, plus aucun bateau de plaisance ou de croisière ne pourrait accoster. 4,5 millions de touristes sont venus visiter le lac en 2019, plus de 3 millions en 2021. Des hôtels et restaurants se sont implantés sur les marinas. L’arrêt des activités nautiques serait un coup dur pour le tourisme local. « C’est la dernière rampe ouverte dans la région, si elle ferme, il faut que j’aille à Bullfrog à 300 miles d’ici (480km) » me dit Tyler, un usager de la Wahweap Marina.

Las Vegas 2022

A Las Vegas, la ville de la démesure, rien ne laisse transparaître une quelconque pénurie d’eau. Cependant, le gouvernement fédéral impose depuis 2021 des restrictions pour les activités agricoles dans le bassin du Colorado pour sauver les lacs Mead et Powell. « Le Colorado doit faire face à des défis sans précédent et qui vont en s'accélérant », souligne dans un communiqué Tanya Trujillo, une responsable de l'agence fédérale des ressources en eau. «La seule façon de répondre à ces défis et au changement climatique est d'employer les meilleures connaissances scientifiques et de travailler ensemble.» Plus aucun pays n’est épargné par les pénuries d’eau, peu importe la richesse et les moyens disponibles.